Réenvoyé-De : liste-agcs@attac.org
De : Frédéric Viale <frederic.viale@free.fr>
Date : 16 septembre 2005 00:09:41 GMT+02:00
À :
Objet : [GROUPE-AGCS] A propos des enjeux de hong Kong : qu’est-ce que NAMA ?
NAMA, ou l’anti-développement
Les discussions NAMA (non agricultural market access/ accès aux marchés non-agricoles) sont basées sur le paragraphe 16 de la Déclaration de Doha, déclaration qui entame le cycle de négociations OMC dites "du millénaire et du développement". Ce texte donne mandat aux participants au cycle de négociations de réduire ou d’éliminer les tarifs douaniers, notamment les pics de tarifs, aussi bien que les barrières non-douanières, particulièrement sur les produits d’exportation des pays en voie de développement. Il est clairement indiqué, dans cette optique, que les besoins particuliers de ces pays doivent être pleinement pris en compte. La réalité des discussions actuelles en est loin.
L’annexe B de la décision adoptée par le Conseil général de l’OMC, le 1er août 2004, et qui reste comme étant le "cadre NAMA" a été prise dans le but de faciliter les efforts du groupe de négociation pour satisfaire au mandat donné par le § 16 de la déclaration de Doha. Depuis, de nombreuses évolutions ont eu lieu. Le texte actuel est celui qui a signé l’échec de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancùn en septembre 2003. Les propositions qu’il contient, et qui émanent des Etats-Unis (EU), du Canada et de l’Union européenne (UE), sont inscrites dans ce qui est connu comme l’annexe B du texte Derbez (du nom du ministre mexicain qui l’a endossé), texte sur lequel s’est focalisé tant de critiques que la conférences a été clôturée sans accord.
Ce texte n’est donc pas consensuel. Il est pourtant largement "poussé" par la présidence de l’OMC, ainsi que par les pays développés, et ce malgré les oppositions réitérées des pays sous-développés - mais il est vrai que ceux-ci, ayant atteint des niveaux de développement différents, sont loin d’être unis sur la question.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un texte composé de quelques paragraphes qui tend à établir une réduction des tarifs douaniers drastique.
Plusieurs propositions circulent, celle des pays développés étant la plus dangereuse pour les industries de part le monde, et singulièrement pour le Sud.
Pour bien comprendre, voyons ce qu’est un tarif douanier : il s’agit d’une taxation de produits à l’entrée d’un territoire. Cette taxation est choisie dans des buts de protéger une industrie locale de la concurrence internationale, éventuellement pour décourager une exportation sans l’interdire formellement, et toujours pour procurer à l’Etat des revenus parafiscaux intéressants.
Par définition, un tarif douanier fausse la concurrence libre, puisqu’il impose aux pays exportés une taxe qui ne pèse pas sur le produit fabriqué localement. Ceci est intolérable pour les tenants de la concurrence, et de la division internationale du travail.
Trois types de tarifs douaniers existent :
les tarifs douaniers maximaux ;
les tarifs appliqués : les autorités se réservent le droit, dans certaines circonstances, de monter le tarif jusqu’au maximum prévu. La différence entre les deux est la marge de manoeuvre des autorités publiques du pays concerné ;
et les tarifs sans maximum, c’est-à-dire que, sur certains produits, l’Etat ne prévoit pas de maximum, et que seul est pris en considération le tarif appliqué.
L’OMC s’attaque aux tarifs maximaux, ce qui réduit la flexibilité d’action des pays, notamment en voie de développement, qui veulent protéger leurs industries naissantes et/ou fragiles en augmentant fortement, le cas échéant, les droits à l’entrée des produits concurrents.
Le champ d’application de NAMA : ces discussions portent sur tout ce qui ne relèvent pas directement des services ni de l’agriculture, c’est à dire de l’industrie, des produits manufacturés, mais aussi de la pêche et de l’exploitation forestière.
La proposition de réduction des tarifs douaniers émanant des pays développés (UE, EU, Canada) est la plus dure. Il s’agit d’une formule dite Suisse, selon laquelle, sur une approche produit par produit, une formule permet de couper les taux les plus élevés. Produit par produit (ce qui enlève une latitude certaine aux pays de protéger ce qu’ils décideraient), il faudrait que les pays consentent à des réductions d’autant plus importantes que leurs tarifs sont élevés. Et le tableau des coupes proposé est fait de telle sorte que les réductions sont plus que proportionnelles au niveau des tarifs : pour le dire autrement, plus un tarif est élevé, plus il devra être coupé. Comme ce sont naturellement les pays en voie de développement qui ont les tarifs les plus élevés, ils devront les baisser le plus. Et on peut concevoir, dans ces conditions, que leurs produits seront durement concurrencés par cette ouverture importante.
Ainsi, par exemple, les tarifs douaniers pour les marchandises industriels vont de 29.4% (au plus haut), à 12.5% (au plus bas) pour les pays sous développés, alors qu’ils sont nettement plus bas pour les pays développés (de 12.3 à 3.4 %). Ceux ci, même s’ils consentent à une réduction élevée en pourcentage, passeront de tarifs déjà relativement bas à des tarifs un peu plus bas, alors que les pays en voie de développement passeraient de tarifs relativement élevés à des tarifs bas, et se trouveront dans l’incapacité de protéger leurs industries fragiles.
De surcroît, la "formule Suisse" s’attache aux tarifs non-maximaux en préconisant que les pays en voie de développement qui n’ont pas fixé de maximaux en fixent, puis, appliquant la formule de réduction, arrivent à des coupes significatives, ce qui aurait surtout pour conséquence d’empêcher ces pays d’augmenter leurs tarifs en cas de nécessité conjoncturelle due à un concurrence internationale accrue.
Bien entendu, un tel système, s’il était adopté, éroderait le système de préférences qui permet un traitement différencié des pays sous développés.
Les implications d’un tel système sont clairs sur de nombreux plans.
sur le plan industriel : les barrières douanières qui pouvaient encore protéger certaines industries de pays sous-développés ne seraient plus assez élevées. Cela coïncide d’ailleurs à la recherche effrénée de nouveaux marchés pour les industries des pays développés soufrant d’une crise chronique de surproduction ; mais cela se paierait par la l’impossibilité de développement industriel pour les pays qui le souhaiterait ;
sur le plan social : on a vue déjà, grandeur nature, les conséquences de la suppression récente de l’accord muti-fibres. Les conséquences en termes sociaux sont dramatiques : par exemple, au Kenya, 50% des entreprises de textiles ont disparu depuis le 1er janvier 2005, moins 20% à Madagascar, au Bangladesh, un nombre encore indéterminé de chômeurs en plus (qui sont pour les 9/10ème des femmes), partout les commandes déclinant. Rappelons que le PNUD estime que sur 2.4 milliards de personnes au travail, la moitié, 1.2 milliard, vit avec moins de 2 $ par jour ;
sur le plan social et environnemental : la forêt permet à un milliard de personnes de vivre, dont 60 millions d’indigènes ; elle a un rôle écologique majeur (notamment concernant l’eau, donc la propagation de certaines maladies graves) ; elle assure la diversité du vivant et des cultures indigènes (la remplacer par des plantations n’est pas judicieux de ce point de vue.) Néanmoins, 10 millions de m3 de bois en plus et par an sont réclamés par l’industrie. Laisser ce secteur au jeu de la concurrence plus libre entraînerait l’intensification de la pression industrielle qui s’exerce déjà sur les forêts ; ainsi que sur l’eau, les maladies qu’elle propage, et l’appauvrissement des populations y vivant.
La pêche se trouve également dans le champ d’application de NAMA, secteur duquel dépend également un nombre de personnes considérable, dont les aspirations seraient ignorées.
Certains pays ont proposés d’autres solutions : le Brésil et l’Inde ont proposé une formule qui permettrait aux pays les moins avancés une certaine souplesse. Les pays développés font remarquer que cette proposition avantage également les pays dits "avancés" ... que sont l’Inde et le Brésil.
Les pays Caraïbes, quoique contestant la validité des discussions partant d’un texte formellement rejeté à Cancùn, proposent que soient intégrés dans le calcul de réduction des tarifs des critères tels que la "protection du système de crédit", "l’économie soutenable", "l’érosion du système de préférence", etc. de sorte que les coupes soient moins fortes.
La rhétorique tenue et par l’OMC et par les pays développés (dont l’UE), selon laquelle la baisse de tarifs doit permettre de faciliter le commerce, et aboutir nécessairement à plus de développement et donc à moins de pauvreté, est une imposture. La réalité est exactement inverse : cet accord, s’il intervient, aurait des conséquences sociales, environnementales et industriels très graves.
Frédéric Viale