All Citizens Are Bastards

Personne ne peut être bon dans notre société. La corruption du capitalisme est totale, omniprésente dans chaque aspect de notre existence. Il est impossible d’y vivre d’une bonne manière, en donnant à bon le sens de respectueux de la vie d’autrui. Le citoyen est celui qui est membre d’un État, d’une Nation et/ou d’une société. Tous les États ont des pratiques autoritaires dans bien trop de domaines. Le citoyen, même passif, contribue à la société et donc à la puissance de l’État. Le bon citoyen est celui qui fait du zèle et qui, comme le citoyen passif mais plus fortement, contribue à la société. Le mauvais citoyen est celui qui contribue peu ou mal à la société mais qui ne lutte pas directement contre elle. Tous cautionnent par leur inaction et leurs actions le système en place. Donc oui, de ce point de vue, tous les citoyens sont des bâtards.

Ce texte s’adresse à ceux qui pensent réussir à changer quoi que ce soit sans entrer en véritable conflit avec le système. Ceux qui disent possible d’améliorer le monde par leur simple action individuelle, rejetant la radicalité. Ceux qui croient au réformisme, au pouvoir de leur influence personnelle, à l’espoir comme moteur de l’évolution.

Il faut nous mettre en perspective, en considérant les privilèges que nous avons. Toutes nos actions, mêmes les plus banales, sont immorales. Car elles résultent d’oppressions sur d’autres individus, qu’il s’agisse du travail, de la violence de la police, du racisme, de la destruction de la nature... Surtout de notre position occidentale, nous nourrissant de l’argent de la colonisation et de l’emprise encore actuelle sur les pays du Sud. Il s’agit d’une critique des bobos gauchistes, qui s’ils peuvent avoir des réflexions justes et des actions bonnes dans un domaine, en agissant individuellement, ils s’y réduisent et agissent inéluctablement en mal sur d’autres domaines. On peut prendre l’exemple du véganisme : si la réflexion sur l’antispécisme est parfaitement juste, on ne peut avoir que la protection animale en tête et en oublier les malheurs des Hommes. Il y a une différence tangible entre celui qui achète à grand prix des nourritures transformées par des paysans surexploitées et des ouvriers subissant les tourments de l’usine, dans un concept-store végan qui a pu s’installer grâce à un phénomène de gentrification et du travail d’exclusion de la force policière, et celui qui permet l’existence d’une cantine végan à prix libre dans un quartier défavorisé avec des produits de récupération et dont les revenus reviennent à un lieu collectif. La différence réside dans l’appartenance ou non au système en place. A quoi bon être bénévole aux Restos du Coeur si c’est pour laisser faire la police quand elle expulse des gens ? A quoi bon faire du mentorat pour des enfants défavorisés si on laisse quotidiennement l’État détruire des vies et l’Ecole mettre ces mêmes enfants à la rue ?

De plus, le capitalisme se nourrit de notre bénévolat. Le bénévolat ne résout rien, il est un pansement sur une plaie béante. Bien sûr, il peut sembler utile, il aide des gens qui en ont besoin. Mais il faut s’en prendre à la racine, attaquer ce qui crée ces besoins. Pire encore, le bénévolat renforce le système. Il lui est une excuse pour maintenir son système destructeur. Nourrir gratuitement les gens n’est pour lui qu’un moyen d’assurer une force de travail à exploiter sans avoir à dépenser d’argent. Faire rentrer des enfants dans un système scolaire qui les a rejetés est un bonne raison de continuer sans nécessité de changer. Si ce n’est pas fait pour transmettre des idées radicales ou permettre des actions entravantes à son bon fonctionnement, le bénévole n’est qu’un citoyen de plus qui aide au bon fonctionnement. C’est ce qui fait la différence avec l’action directe révolutionnaire. La cantine populaire est là pour rendre l’individu autonome des aides de l’État et capable de se nourrir sans avoir à gagner de l’argent, capable de fuir le monde du travail et d’à son tour permettre l’existence d’initiatives autonomes et autonomisantes.

Notre assentiment à ces violences n’est pas aussi fort que peut l’être celui d’un policier par exemple (vrais bâtards pour le coup) qui eux font le choix conscient de s’intégrer à la frange qui va défendre cette société, qui va créer les violences de l’État et détruire les possibilités d’en sortir. Le citoyen, en tant que membre productif de la société, la nourrit, la renforce aussi malgré lui, qu’il le veuille ou non. Nos impôts servent à payer cette même police, ces gens qui nous gouvernent et aident les entreprises qui nous maintiennent dans une société de travail et de consommation. En restant passif dans un quotidien destructeur, même en cherchant à changer quelques aspects et quelques conséquences de leur action, le fonctionnement général ne peut être équilibré par une vie personnelle bonne. Certes, celui qui n’utilise pas de portable ne participe pas à l’exploitation minière néo-coloniale en Afrique ou celle de mineurs des chaînes de montage chinoise (les exemples ont imprécis mais on comprend l’idée), celui qui utilise des produits qui ne sont pas testés sur les animaux évitent les atrocités qui se déroulent dans les labos des marques, celui qui éduque son enfant chez lui lui évite les violences systémiques de l’éducation… Il y a tellement de problèmes qu’évidemment un individu ne peut penser à tout. Et s’il le fait, son rythme de vie en sera tant diminué qu’on peut légitimement se demander s’il est possible même de survivre ainsi. Parce que le confort dans notre société est défini par l’inconfort d’autrui. Dès lors, ce ne sont pas les conséquences de la société qu’il faut combattre mais la société elle-même.

Vient alors la nécessité d’un projet concret et complet de transformation du monde pour se diriger vers le bon, vers une société qui ne repose pas sur la souffrance d’autrui. On ne peut pas comprendre dans les détails l’intégralité des horreurs que nos actions quotidiennes commettent. Aussi, il faut se choisir des valeurs de justice qui nous semblent permettre d’éviter d’avoir à contraindre l’autre et se battre pour elles. Il ne s’agit pas que de destruction mais aussi de création d’espaces en dehors de l’organisation « citoyenne » qui mettent en placent une organisation alternative.

L’anarchisme est une vision d’ensemble qui tente de lier l’ensemble des oppressions à combattre sans les hiérarchiser et propose un idéal qui se veut dépourvu d’elles ; encore qu’elle peut être réduite à une action trop étroite comme pour ces anti-techs qui en se réduisant à une lutte contre le modernisme finisse par combattre aveuglément le féminisme, les personnes queer et/ou handi.es réunis dans le fantôme du wokisme. Son projet donne non pas un plan précis de comment doit être le monde mais une suite de principes pour faire en sorte d’y trouver des solutions et une transformation constante. Anti-autoritarisme, anti-impérialisme, anti-étatisme, anti-queerphobie, antifascisme ne sont pas que des conceptions négatives mais des valeurs positives à mettre en place dans la construction d’une nouvelle société.

Dans la pratique, seul moyen de ne pas être un citoyen/bâtard est de ne plus appartenir à la société. Si aujourd’hui cela passe par une vie d’illégalisme (frauder les impôts, vivre dans des squats, vols) et une lutte contre les plus gros bâtards, c’est à dire les keufs, les politiciens et les bourgeois, il s’agit d’une vision puriste compliqué à atteindre. On peut déjà se contenter de petites expériences locales d’actions directes (exemple des cantines précédemment décrits mais aussi groupes d’entraides, d’éducation populaire, de production indépendante) qui, en diminuant notre participation à la société, diminue directement notre impact néfaste et notre assentiment involontaire aux horreurs qu’elle commet. L’objectif est de transformer à terme tous les aspects de notre vie qui dépendent de l’État pour que cela ne soit pas le cas, et il existe une minorité de lieux où cela semble palpable (Longo-Maï, Zapatiste). Dans tous les cas, il nous faut chercher l’autonomie, la créer autour de nous le plus possible, dans tous les domaines.

Gloire aux parasites. Ne payez pas vos impôts, volez tout à l’État. Entraidez-vous et créer les réseaux de solidarité qui donnerons la société de demain, bien loin de celle d’aujourd’hui.


publié le 20 novembre 2023

copyleft Copyleft Indymedia (Independent Média Center). Sauf au cas où un auteur ait formulé un avis contraire, les documents du site sont libres de droits pour la copie, l'impression, l'édition, etc, pour toute publication sur le net ou sur tout autre support, à condition que cette utilisation soit NON COMMERCIALE.
Top