POUR UNE AUTRE PHILOSOPHIE

Suite de l’article CONTRE LA PHILOSOPHIE UNIVERSITAIRE :
https://lille.indymedia.org/spip.php?article36053

[Texte collé tel quel sur les murs du département philosophie de l’Université Lille 3 début février] :

Si une simple critique ne vous convainc pas de la désespérante nécessité d’agir, peut-être que la proposition plus claire d’un autre fonctionnement vous donnera l’espoir d’agir et d’aller vers une nouvelle philosophie. Ou alors le capitalisme et sa corruption auront eu raison de vous, en vous aliénant si fortement par le travail et par l’usine à adulte qu’est l’école, que vous n’êtes plus en mesure d’accepter des alternatives concrètes au quotidien destructeur pour vous et pour les autres qu’il nous impose à tous. Mais passons. Qu’est-ce que nous pourrions imaginer ?

Il n’y a pas qu’une seule idée qu’on peut se faire de la philosophie. Étudiants ou professeurs, nous ne sommes pas là pour les mêmes raisons. S’il me semble évident de critiquer une philosophie institutionnalisé autodestructrice, il est nécessaire d’accepter que chacun puisse y trouver son compte dans une multiplicité de la pratique philosophique. Aussi, s’il faut contenter ceux pour qui la philosophie est un art voué à créer des concepts (tout en évitant de créer une culture bourgeoise à même d’asseoir un pouvoir, il faut y veiller), ceux qui y voient une science nécessaire à l’approche du savoir ou une recherche de la sagesse(tout en évitant d’en faire une source de dogmatisme à même d’exclure les pensées marginales) et ceux, dont je fais partie, qui y voient majoritairement un ensemble de méthode à usage critique envers les différentes visions du monde qu’on peut y cataloguer (donc contre un apprentissage idéologique de la philosophie soumis au pouvoir politique), il faut nécessairement une multiplicité de fond comme de forme à l’inverse de notre fonctionnement monolithique actuel. C’est pourquoi ma proposition pour une autre philosophie sera anti-autoritaire, anti-étatique par extension

Pour que la philosophie ne soit pas autoritaire mais plutôt libertaire, il nous faut agir en priorité sur le système hiérarchique. Nous pourrions nous débarrasser en premier temps de la distinction maître/élève. Cette aberration pour l’Éducation Nationale Française a pourtant existé et existe encore en de nombreuses places, bien plus restreintes que notre bon vieux système bien cadré cependant. Par exemple, les écoles démocratiques qui suivent un modèle Sudbury en France, il y en a une à Lille notamment, sont intéressantes, bien qu’actuellement réservées à une élite bourgeoise car privées, et même en dehors de ça beaucoup trop formelle et productiviste pour simplement vouloir les généraliser, car toujours à l’idée de servir le système. Ce ne sont en fait que des dérives libérales de l’Ecole Moderne fondée par le pédagogue anarchiste Fransisco Ferrer qui avait comme objectif politique non pas de se rendre marchandable au monde du travail mais plutôt au contraire une « éducation intégrale » ayant pour objectif de rendre l’individu le plus autonome possible. Nous avons chacun d’entre nous des compétences, des connaissances, des capacités intéressantes pour autrui que nous serions à même d’enseigner, ou plutôt de transmettre. Cette conception entraîne aussitôt la chute d’une autre hiérarchie non nécessaire, celle de la légitimité du savoir qui est défini aujourd’hui non pas par son utilité mais par l’imposition d’un pouvoir et de sa conservation (Bourdieu parlera de capital culturel). Plutôt que l’existence d’une entité éducatrice dépendante d’un État à même de nous faire toutes la propagande qu’il souhaite, les sujets abordés seront au bon vouloir de ce que veulent transmettre les personnes, et l’écoute qui en résulte sera au choix du nombre de personnes qui viendront tendre l’oreille. Si vous croyez ça impossible, je vous incite à consulter le programme de la Rentrée Anarchiste de 2023 sur le site Indymédia Lille ou celui des Rencontres Internationales Anti-Autoritaires de Saint-Imier sur Anarchy2023. Ce sont même des choses qui se font couramment dans certains lieux à Lille, comme le CCL, le Centre J’en Suis J’y Reste ou l’Offensive. Et je vous renvoie encore vers le projet de Lille 0.

Ramené à l’université, on entrevoit une éducation pleine de vie en constante évolution, sans autre but à atteindre que de faire avancer les réflexions de tous le monde sur les sujets qui nous intéresse. Pour une philosophie qui n’est pas évalué de quelque manière que ce soit, qui s’apprenne par amour du savoir simple et qui se pratique par nécessité d’exister comme individu indépendant à même de développer son propre esprit critique. Sans diplôme à la sortie. Sans vigile à l’entrée (comme c’est surtout le cas à Lille 2). Sans notion de classe réparties par âge. Pas de pression du monde du travail, détaché de cela. Sans horaires de présence imposés, plus respectueux de l’idiosyncrasie (comme théorisé par Barthes) nécessaire à une société en bonne santé. Des formes de discussions variées, avec des outils bien différents du cours magistral (des exemples d’outils dans la brochure « Transformons nos pratiques » trouvable sur le site assoligue.org).

Pour que la philosophie ne soit pas déconnectée de la réalité mais au fait de ce qui se passe au quotidien, qui sait se remettre en question, et les sujets qu’elle aborde. Une philosophie détaché de l’élitisme bourgeois qui fait qu’elle se contente de questions bien à distance de la réalité pour plutôt s’accorder avec les besoins de l’actualité. La philosophie doit pouvoir prendre son temps pour se développer, mais elle ne peut s’exercer que dans des conditions où l’intellectualisme n’est pas opprimé par des idées fascistes, où chaque individu à les moyens d’accéder aux connaissances et aux possibilités de s’exprimer sans s’inquiéter de la nécessité de subvenir à ses besoins primaires. Sinon, il est à questionner que cela soit même de la philosophie. Il y a des valeurs essentielles à l’existence, la survie et la croissance de la philosophie. Bien sûr, on m’accusera de restreindre le champ de la philosophie mais il me semble que face à tout intellectuel, l’esprit du pyromane un peu trop fan de bibliothèque fait peur, même à Nietzsche. On ne peut faire correctement de la philosophie dans un climat de guerre, quand la jeunesse est plutôt vu comme de la chair à canon obéissante que comme une génération future dont il faut construire la morale. La philosophie me semble nécessairement anti-militariste. De même, on ne peut s’estimer chercher le savoir quand on vit dans une société qui s’évertue à détruire les cultures d’autrui, l’anti-impérialisme comme base de la philosophie. J’irais même plus loin personnellement en proclamant la nécessité de valeurs anarchistes pour rendre la philosophie accessible et anti-autoritaire mais ce serait déjà un minimum de ne pas être anti-intellectualiste. Des valeurs que doivent porter ceux qui ont un intérêt pour la philosophie.

Pour que la philosophie soit inclusive, pour ne pas être qu’intellectualiste pour autant, il y a nécessité à favoriser l’expression de tous (tout en gardant à l’esprit le paradoxe de Popper qui entend de ne pas tolérer l’intolérance, et donc la nécessité de dégager les idées fascistes et oppressives de l’espace public). Permettre à des minorités de donner leur opinion, et ce de manière peut-être moins bien construite que ne l’aurait fait des personnes en position de force dans la société, qui aurait eu le privilège de recevoir une éducation plus formelle et conforme aux demandes classistes. C’est aussi une nécessité pour la philosophie que de se faire confronter les visions culturelles du monde et, pour se faire, d’assurer leur coexistence. Et leur expression en ne remettant pas toute la charge de travail sur quelques uns. Je sous-entend une université dont la gestion dans le moindre domaine n’est pas fait par classe sociale mais par l’ensemble de ceux qui y participent. Il est inconcevable de continuer dans cette voie élitiste si l’on souhaite rendre la philosophie mobilisable par tous et les individus libres de vivre et de penser. Un exemple actuel, qui essaie de se débrouiller au sein du capitalisme par de l’auto-gestion, serait le Lycée Auto-Géré de Paris. Bien sûr, on peut aller beaucoup plus loin dans la perspective en imaginant une université, si on pourrait encore l’appeler ainsi, qui ne serait pas au sein d’un monde d’institutions et qui dès lors n’aurait pas besoin d’avoir une telle administration ou une forme hiérarchique aussi absure.

Pour que la philosophie ne soit pas élitiste mais populaire, il faudrait offrir de la vulgarisation sans pour autant nier l’existence et la pertinence de réflexions plus approfondies. Cela entend savoir se défaire du langage universitaire quand on le souhaite, sans s’y retrouver prisonnier à ne pas savoir expliquer simplement les choses. Ne plus être dépendant et producteur d’une culture bourgeoise. Pour la philosophie spécifiquement, ça entend de peut-être mettre les individus moins au centre, les noms de concepts aussi, de ne faire appel à eux que si le développement de la réflexion des participants le nécessite, et préférer à eux d’insuffler la capacité critique plutôt que l’apprentissage de termes, de dates, de personnes (bien que ce ne soit pas un problème si c’est fait, le problème est que ce soit un pré-requis). Cela n’a pas pour objectif de supprimer l’usage de pensées mais au contraire de les multiplier, de les mêler d’égal à égal avec les réflexions actuelles de tout le monde, voir de refaire découvrir des courants qu’on a tendance à mettre de côté. Personnellement, j’aimerais bien voir apparaître plus souvent des idées anarchistes, qui malgré ce qu’on peut dire, sont des concepts qui nous concernent. Que ce soit la propriété chez Proudhon, le soi chez Stirner, la liberté du corps chez Voltairine de Cleyre, l’influence des médias chez Chomsky, le travail chez Graeber, le genre chez Preciado, la religion chez Ellul, la technologie chez Ted Kaczynski, l’organisation du territoire chez Bookchin, beaucoup d’anonymes et de pseudonymes évidemment, pour ne pas parler des idées foncièrement révolutionnaires. Et beaucoup de personnes mobilisent leurs idées sans pour autant avoir une connaissance précise de ces faits, sans nécessité de nommer l’auteur, ou un contexte excessif. Cela n’empêche pas une partie de se plonger profondément dessus, dans les détails. Il n’y a pas un objectif de rendre les réflexions moins grande mais au contraire de multiplier son expression. Je ne tiens pas particulièrement à ce que tout le monde se dise anarchiste, et surtout pas à ce que l’on se crée de l’admiration autour des noms précédemment cités. Au contraire, brûlons nos idoles qui ne sont que des Hommes avec leurs défauts. Que le Philosophe ne soit plus, que la philosophie soit accessible à tous. La lutte contre la technocratie est à faire dans tous les domaines, la politique et la philosophie en première ligne.

Pour que la philosophie soit solidaire, on peut imaginer une architecture différente, que l’université soit juste un lieu en accès libre où, qui le souhaite, peut prendre possession des outils à sa disposition pour donner un cours, faire un atelier, un débat, une écriture de roman en commun, organiser des prises de décisions politiques, faire un spectacle, un concert, une cantine, un match de foot, une soirée pyjama, du soutien aux personnes SDF, des rencontres culturelles, du bricolage, de l’art, de la science, de la philosophie ! Ne croyez pas que ça n’entend pas d’organisation. Si on peut s’attendre à la multiplication d’actions spontanés quand la possibilité est offerte, rien n’empêche de faire des programmes, des manières de réserver les salles, des inventaires du matériel, des guides bénévoles…

Je n’ai pas pour habitude de citer Marx, mais une fois n’est pas coutume. Alors je me permettrais de mettre en avant sa onzième thèse sur Feuerbach énonçant : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, le point étant de le transformer ».

Bien sûr, il y a mille manière d’imaginer une autre philosophie et une autre université. Simplement, nous en avons perdu l’habitude, emporté dans un quotidien entêtant où on se fait guider dans des directions sans plus s’interroger pourquoi, ce qui est le comble pour des philosophes. Je vous propose donc une version qui me plairait. Quelle est la vôtre ?

Comme toujours, vous pouvez nous envoyez un mail si vous ressentez le besoin de vous exprimer. Et si vous êtes un tant soi peu stimulé par ce genre d’idée, faites le entendre autour de vous. Alors nous pourrons agir ensemble. Car un fonctionnement pareil ne sera pas soutenu par le système actuel. Il nous faut le renverser par l’action révolutionnaire sous ses formes les plus libres pour qu’un jour naisse l’espoir d’un changement.

Diogène 2.0

############### [ce mail est censuré car destiné à des professeurs et des étudiants concernés]


publié le 21 février 2024

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