Rédigé et édité en 2019 par Vosstanie, Quand le peuple est populaire est un petit essai aussi intéressant que décapant et au sous-titre évocateur. Les textes qui le compose prennent à rebrousse-poil le populisme de gauche dit « chic », mais contestent aussi l’histoire falsifiée, vendue en centaines d’exemplaires par des éditeurs « indépendants », et d’autres choses crasseuses encore.

Qui est Vosstanie ? Brièvement, il s’agit d’un groupe communiste révolutionnaire autonome et libertaire qui anime une webradio du même nom, publie des textes de combat et de réflexion théorique, et édite des livres en français et en portugais. Ses émissions radiophoniques contre « l’idéologie identitaire » assez répandue dans des milieux gauchistes ou à prétentions subversives, et même jusqu’au sommet de l’État, ont été censurées par divers sites militants[1]. Cela en dit assez long sur le taux d’intolérance à la critique, à la discussion contradictoire, à la remise en question des certitudes et des fétiches intellectuels sur certains médias dits « radicaux », des médias qui se vantent pourtant d’être ouverts à l’« esprit critique »[2].

Le livre que Vosstanie propose ici s’inscrit dans une démarche similaire à ces émissions, c’est-à-dire dans une démarche de laminage des idéologies servant diverses chapelles, divers groupes d’intérêts faussement émancipateurs ou dominants la société marchande, et leurs idéologues fussent-ils de gauche. Ceci à coups de plume relativement enragée et assassine, pouvant parfois rappeler celle des « bad kids » de l’Internationale Situationniste.

Quand le populisme est effleuré ou critiqué par une partie du champ politique, il l’est souvent via des postures élitistes et/ou pro-étatiques. Au contraire de Vosstanie dont l’angle d’attaque est très différent. Il s’agit d’un « point de vue de classe », anti-partis et anti-État, qui rejoint celui des anarchistes pour lesquels « le peuple » n’est qu’un concept interclassiste, un mot au contenu trop imprécis, un « fantôme ».

Ainsi Quand le peuple est populaire débute par quelques textes « clash » contre un ouvrage de Raquel Varela publié en 2018 aux éditions Agone. Ceci après une préface percutante où le groupe communiste mentionne pourquoi il n’est ni ouvriériste, ni essentialiste, ni « le peuple ». Selon lui, Un peuple en révolution. Portugal, 1974-1975 est un essai aussi vague que confus, comme le montre par exemple l’usage des concepts de « contrôle ouvrier » et d’« autogestion », et souffre d’une certaine amnésie probablement volontaire en ce sens que le journal Combate se trouve complètement absent des références bibliographiques[3]. L’amputation de plusieurs centaines de pages pour la version française remet aussi en cause la probité intellectuelle de la maison d’édition, ainsi que la complicité silencieuse de l’auteure[4].

Le « socialisme de caserne dans un seul pays » du MES (un parti politique d’extrême gauche lusophone) est également pris pour cible au détour d’un article, de même que « son étatisme » et « son avant-gardisme » (p. 36). Ou encore l’autogestion et son impossibilité dans un monde gouverné par la logique capitaliste industrielle.

Plus loin, la critique de Vosstanie se veut plus centrée sur le « populisme chic » et le « business du populaire ». Celle-ci se base entre autres sur une correspondance à propos de Gérard Noiriel, de l’un de ses livres et de son appel à voter pour le Parti Socialiste en 2012. Les auteurs citent par ailleurs un extrait d’ouvrage signé par un (ex) partisan de « l’autonomie stalino-armée » (p. 48) bien connu de l’extrême gauche française. Un extrait qui, selon eux, est insultant pour les prolétaires anonymes luttant au quotidien contre l’exploitation capitaliste, et à quoi ils ajoutent que la volonté de complaisance de l’éditeur marseillais, le même que pour l’essai de Raquel Valera, frise encore la mauvaise foi et la manipulation.

Le mythe du « foot populaire » porté en étendard par un journaliste comme Mickael Correia et ses relais mediatiques est également dézingué par le groupe communiste[5]. Sont ainsi passées à la moulinette certaines idées de l’auteur de l’Histoire populaire du football publié à La Découverte en 2019, et qui est défini par Vosstanie comme un « roman démagogique » (p. 51).

Au fil des pages, des remarques pour le moins grinçantes sont glissées de-ci de-là. On retiendra notamment celles contre les renvois d’ascenseur mondains dans le monde éditorial tiers-mondiste et castriste, ou encore celles contre certains journalistes dits « engagés » et qui font du ressentiment ambiant un commerce, construisent leur prestige sur des anecdotes.

Un écrit daté de 2012 revient quant à lui sur le concept de « peuple » qui nierait l’existence des classes sociales, autant qu’il les unirait dans un plus grand ensemble conceptuel mystificateur et en faveur du capital/de l’État : la nation. Citons-en les dernières lignes assez explicites : « Il est sympa “le peuple” surtout parce qu’il n’existe pas. Il regroupe tellement de monde qu’on ne sait même plus de qui on parle, et c’est très bien comme ça… Pour certains. » (p. 57)

Quand le peuple est populaire se termine par un Appel à contributions de 2014 mentionnant le mythe autour de la « Révolution des Œillets » construit par l’idéologie dominante. Ainsi que par une conclusion d’émission sur la lutte des classes au Portugal consacrée à cette expérience révolutionnaire où l’ennemi, « habillé d’un costume inespéré, celui de ses propres organisations » (p. 60) surgissait en face des milliers de travailleurs en lutte de 1974 à 1976.

L’opuscule de soixante-huit pages de Vosstanie est bien sûr beaucoup plus riche que cette chronique ne citant qu’un échantillon des thématiques à charge et des réflexions de fond. Si l’on ne suivra pas le groupe communiste sur certains points, ni sur sa phraséologie quelque peu marxienne ou marxiste, on ne peut néanmoins que recommander la lecture de cet essai au vitriol contre le commerce de la mémoire falsifiée, contre les professionnels de la politique et les intellectuels opportunistes ou fantoches. En ces temps de grande confusion, d’essentialisme et de relativisme de toutes sortes (de classe, de « race », de religion, …), de nationalisme/régionalisme « bon teint » et partagé par des fractions tant de gauche que de droite que libertaire, ce livre met en avant par sa critique franche une perspective radicalement anticapitaliste et anti-nationaliste nécessaire, sans romantisme aucun pour la classe ouvrière[6].

Le livre en vente à prix libre et en téléchargement sur la page de Vosstanie : https://vosstanie-editions.blogspot.com/2019/07/quand-le-peuple-est-populaire-vosstanie.html

Notes

[1]. Émissions téléchargeables ici. D’autres enregistrements sur le Mexique, le capitalisme d’extrême gauche, l’autonomie ouvrière, des entretiens avec Charles Reeve, Sandra C. sur la lutte des classes pendant la Révolution française, avec João Bernardo sur les « labyrinthes du fascisme », etc., etc. valent aussi d’être écoutés.

[2]. Les mêmes médias surfant sur des modes intellectuelles et font de toute nouveauté ou presque une innovation à défendre (Argumentum ad novitatem).

[3]. Vosstanie a réalisé plusieurs émissions sur la révolution au Portugal dite « des Œillets », et a également réédité l’ensemble des journaux de Combate. Voir ici et ici.

[4]. Agone avait déjà été épinglée par des anciens salariés dénonçant les conditions managériales à l’intérieur de la boîte. On pourra profitablement écouter cet entretien avec eux.

[5]. Les auteurs, inspirés par la théorie critique du sport « brohmienne », avaient auparavant publié un texte contre le « bon football ». À lire ici.

[6]. D’autant plus nécessaire quand l’anti-nationalisme est encore perçu par les franges les plus extrémistes de la droite comme du « mondialisme apatride », ou comme de « l’impérialisme occidental » par une partie de la gauche extrême, « décoloniale », partisane de l’étatisme, de cet autre « socialisme des imbéciles » qu’est « l’anti-impérialisme », etc. Bref, par une gauche à gerber autant que la droite. Lire entre autres : « L’extrême-gauche-de-la-saloperie » par Vosstanie.