LA FOIRE ÉLECTORALE

A ce qu’on raconte, c’est le 22 septembre que vont avoir lieu les fameuses élections générales. Mince de déballage, ce qu’il va y en avoir de proclamations, de boniments et tout le diable et son train !

Mille bombes, y a pas de temps à perdre : Mon vieux Peinard, faut te patiner, si tu veux accoucher d’une chouette campagne contre tous les les jean-foutres qui vont se mettre en ligne pour décrocher une timbale.

D’autant plus nom de dieu, que ces bougres d’ambitieux de tout poil, sont déjà en train de chauffer leurs candidatures. Ils ont tous tellement le trac de se voir roulés par leurs adversaires, qu’ils s’y prennent six mois à l’avance pour peloter le populo.

Ils ne sont pas fiers ces gus là, tous les moyens leur sont bons : ils emploient tous les trucs, aussi sales ou aussi idiots qu’ils soient ; ils baiseraient premières fesses venues, s’ils étaient certains de la réussite.

Je vous ai déjà raconté le coup des légumeux aux fonctionnaires, leur ordonnant de se foutre en campagne pour dégotter des électeurs opportunards. Et a réponse des boulangeux ! Croyez-vous qu’il faut avoir de l’aplomb, pour annoncer à tous les ronds-de-cuir qu’on les saquera, s’ils ne gueulent pas et ne font pas gueuler, vive la Boulange !

Mais tout ça n’est encore que l’entrée en matière (une sale matière, nom de dieu, qui n’embaume pas la rose). Nous en verrons bien d’autres, et de plus épastrouillantes, d’ici le mois de septembre !

Pour commencer voici les droitiers qui tiennent à avoir la première manche ; ils se sont fendus d’un petit manifeste. Leur flanche n’a rien d’épatant, c’est toujours la même rengaine : leurs adversaires sont de la fripouille.

Ça nous le savons, messieurs les réacs ; vous pouvez dauber à gogo, vous n’en direz jamais de trop.

Vous nous racontez que les gouvernants actuels sont des barbotteurs, qu’ils ont foutu le pays à cul, qu’ils ont vendu des décorations, qu’ils ont fait toutes les choses ignobles et dégoûtantes.

Eh bien quoi ! Est-ce que ce n’est pas leur métier aux gouvernants ; qu’est-ce qu’ils foutraient donc, s’ils ne passaient pas leurs journées à barbotter dans les profondes des bons bougres ? Voyons, un peu de jugeotte : la grenouille est faite pour être mangée ; il n’y aurait pas de charme si les décorations ne pouvaient pas se vendre au premier tartempion venu, etc., etc.

Sacrés fumistes ! Quand vous étiez à leur place, quand vous ou vos paternels teniez la queue de la poêle, il y a vingt ou quarante ans, vous faisiez pareil, et même pire. Et si demain le populo était assez pochetée pour vous coller au pouvoir, mes amis quelle sarabande !

Qu’est-ce que vous venez nous chanter, avec votre prenez mon ours ? « Votez pour nous, qu’ils braillent ces cochons-là, nous vous gouvernerons mieux que ces brigands de républicains. »

Avez-vous fini, vieilles canailles ! Fermez vos plombs, sans quoi je vous envoie un va te laver, qui ne sera pas piqué des vers !

Oh ! la là, s’il est possible avec des antécédents comme les vôtres, de parler d’honnêteté — c’est parler de corde dans la maison d’un pendu. L’honnêteté d’un bourgeois, en voila une d’invention que je n’ai jamais vue ; comment que c’est fait, quelle couleur ça a ?

Je ne dirai pas que vous êtes plus dégueulasses que les légumeux actuels — non ! Ça aurait l’air de dire que j’ai des préférences, et je n’en ai pas. Je vous fous dans le même sac : réacs, boulangistes ; opportunards et radicaleux, c’est tout une même bande de fripouilles.

Voyons, tas de chenapans, il ne faut pas nous la faire à l’oseille ; nous savons que tous les gouvernements se valent, que le meilleur ne vaut pas une merde de chien. Qu’est-ce que ça me fout à moi, d’être gouverné par Freppel, Cassagnac ou Yves Guyot ? Ah mes amis, je ne demande qu’une seule chose, c’est que ces saligauds me foutent la paix, me laissent tranquille, et ne se mêlent pas de ma petite popotte.

Eh nom de dieu, qu’ils se gouvernent entre eux si ça les botte ; mais me gouverner moi, y a rien de fait ! Foutre non, je n’ai pas besoin qu’ils viennent coller leur pif dans mes bricoles, je me passerai facilement d’eux.

Je m’en passerai d’autant plus facilement qu’on ne les voit jamais, eux ou leurs sous-ordres, que quand ils ont de la galette à me réclamer.

Qu’ils se passent de moi, tonnerre ; quand je n’ai pas le rond, je ne vais pas les taper, qu’ils en fassent de même, qu’ils perdent l’habitude de venir farfouiller dans mon porte-braise.

Y a pas à aller contre : le meilleur des gouvernements, c’est de n’en pas avoir ! Qu’on ne vienne pas me seriner que celui des radicaux est plus bath que celui des bonaparteux, — je ne coupe plus dans ces raisonnements de cheval : C’est comme si un type voulait me prouver que la fièvre typhoïde est une maladie plus agréable que le choléra.

Je ne coupe plus dans ces panneaux, et je dis, nom de dieu, que si le populo n’avait pas de la merde plein les yeux, il ferait passer un cochon de quart d’heure à tous les gouvernants ou apprentis gouvernants !

* * *

C’est toutes ces choses là, qu’il faut foutre sous les quinquets des bons bougres encore embarbouillés dans les vieux préjugés. Il s’agit de leur faire voir clair ; ce ne serait pas difficile, parce que leur bon sens, la bonne jugeotte naturelle les guide, s’il n’y avait pas à côté tous les richards et leurs lèche-culs. Ces jean-foutres ont intérêt à maintenir le populo dans les bons principes, comme ils disent, et ils se démanchent en conséquence.

Faut se démancher plus qu’eux, nom de dieu ! La difficulté ne m’arrête pas, foutre non ; les difficultés on les surmonte avec du poil. Mais l’emmerdant, c’est que pour surmonter les difficultés, pour foutre sous le nez des types qui ne savent pas, les bonnes idées que nous avons dans la caboche, il faut du pognon.

Et dam, puisqu’il est question de moi, le pognon c’est pas ce qui m’étouffe ! J’ai pas besoin d’en dégoiser long là dessus, les copains me comprennent.

Je voudrais pourtant, mille tonnerres, tapisser les murs d’affiches, distribuer des petits bouts de papier partout. En coller partout ! En foutre partout ! Y a qu’une chose qui m’arrête : la question de galette.

J’ai donc cherché un truc, et voici à quoi je pensais. Les affiches faites en quantité reviennent pas cher, je vas en faire tirer des milliers, et je les livrerai aux copains au prix qu’elles me conteront, je crois que pour trente sous le cent, au maximum, on peut en avoir de chouettes.

Si cette idée botte les aminches qu’ils me le fassent savoir. J’en parle maintenant, quoique ce soit bougrement d’avance, mais quand on n’est pas argenté, rien n’est plus difficile que de faire quelque chose de potable en s’y prenant au dernier moment.

Le Père Peinard N. 19, Dimanche 30 Juin 1889