Depuis quelques années, les suffragettes font beaucoup parler d’elles, notamment en Angleterre. Elles revendiquent le droit au vote, le salaire égal à travail égal, etc., etc. ; mais leur marotte sublime est la participation à l’électorat comme candidates ou votantes.
Il serait superflu de redire l’inanité des réformes, de démontrer l’absurdité de la politique pour acquérir l’objet de nos désirs : le bonheur. Et pourtant, des doctoresses, des journalistes, des politiciennes, nous rabâchent des lieux communs en s’extasiant dans l’exposé
de leurs « droits ».
Contrairement à leurs habitudes, l’on se représente toujours poétiquement la femme comme une déesse impeccable, alors qu’elle est souvent, violemment même, la sirène captieuse ; — elles emploient, la violence, le feu et la bombe contre les propriétés, pour faire aboutir leurs desiderata.
Je suis persuadé que ces amazones de la conquête de l’autorité, se sont pressées d’effroi dans leur candeur ingénue, à la lecture des actes terrifiants des deux cambrioleurs russes de Londres et de la « bande Bonnot et Cie ».
Leur sensibilité souffre de l’autorité masculine, et au lieu de la détruire, elles cherchent à nous opposer l’autorité féminine.
L’homme comme la femme, débarrassés des préjugés de la nécessité des diverses contraintes, pourraient pourtant s’associer pour vivre. L’on peut consommer, l’on peut aimer, l’on peut créer de la richesse dans la liberté.
Non, on cherche toujours à remplacer le mal par un autre, bien souvent pire.
La coercition ne peut être améliorée, elle ne peut qu’exister avec les maux qu’elle entraîne, ou détruite, laissant les initiatives individuelles se mouvoir vers le bien et le beau.
La féministe veut conquérir les droits de l’homme ; en revanche, puisque la société est ainsi faite, elle doit accomplir les devoirs inhérents pour maintenir le respect aux lois et à la machine infernale, qu’est de nos jours la mauvaise organisation sociale, issue du capitalisme.
Les amazones suffragettes par « droit », doivent par conséquent être les amazones militaristes par « devoir ».
Les femmes s’étant acquis le droit de voter par leur ténacité, doivent accepter le devoir de servir la patrie.
Une fois sur le chemin de l’absurdité pourquoi s’arrêter ? Ce serait joli et grotesque à la fois d’admirer la revue d’un quatorze juillet de ces femmes guerrières en culotte rouge, le fusil sur l’épaule, et Le Régiment de Sambre-et-Meuse... sur les lèvres de nos suffragettes cantatrices, amoureuses du sabre et de la patrie.
Ce serait sublime d’évocations d’alcôves pour nos officiers. Ce serait croustillant de conversations graveleuses et érotiques pour les jeunes soldats mâles privés de femelles.
Cette promiscuité éhontée de la caserne pour les deux sexes, ne pourra qu’altérer la santé physique et morale de la jeune fille ou de la jeune femme sans enfants.
La jeune fille a mieux, beaucoup mieux à faire, que d’aller déflorer sa pure jeunesse dans les casernes. Le bordel, la fille de rue, la malheureuse prostituée suffisent amplement aux vendanges de l’avariose et du vice.
La vie de caserne pour les hommes a reçu le nom classique d’école du vice, du crime et du mensonge. N’allez pas, ô suffragettes délicates et charmantes, accentuer la débauche sexuelle dans les chambrées ; l’onanisme et l’homosexualité exercent assez de ravages sans vos gracieuses présences.
Et puisque nous avons l’heur de constater que vous avez de l’énergie à dépenser, nous vous disons : Venez vers l’anarchie offrir vos forces morales et intellectuelles pour l’ardent combat d’une cause juste : l’affranchissement de l’individu. Au moins, vous n’aurez pas le regret d’avoir perdu votre temps dans une lutte épique pour la conquête de l’Autorité, source de tous les maux dont souffrent l’homme comme la femme, le prolétaire comme le bourgeois.
A l’œuvre donc pour la destruction des urnes engendrant l’autorité coercitive d’une démocratie, d’un empire ou d’une royauté.
A l’œuvre également pour l’abolition de l’impôt du sang, du militarisme et de la guerre, fléaux sanglants dont souffrent l’individu comme la collectivité.
L’homme comme la femme, intimement unis, doivent comprendre qu’il y a plus de joie dans la lutte pour l’affranchissement matériel, moral et intellectuel, que dans la lutte pour le maintien de l’esclavage et de la tyrannie.
Jules BLUETTE
l’anarchie n°427 19 juin 1913