C. L. JAMES
MALTHUS et L’ANARCHISME
Traduit de l’anglais par Manuel Devaldès
(La Brochure Mensuelle - Numéro 19 - Juillet 1924 / Groupe de Propagande par la Brochure)
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Malthus et l’Anarchisme (1)
John Stuart Mill, qui connaissait mal la différence existant entre l’anarchisme et le socialisme, mais sympathisait avec l’un et l’autre dans la mesure où il les comprenait, a laissé le témoignage de son opinion que la doctrine malthusienne, longtemps considérée comme une objection fatale au socialisme, pouvait en fait devenir le plus puissant argument en sa faveur. Etant moi-même grandement de cet avis, j’ai longtemps désiré que Malthus, un écrivain de qui tout le monde parle et que personne ne lit, fût plus généralement compris. Sa vie et son caractère n’ont rien à faire avec ses raisonnements, mais puisque la prévention s’acharne constamment à les introduire dans la discussion et les enveloppe de mensonge, voici la vérité.
Daniel Malthus était l’ami et l’exécuteur testamentaire de Rousseau. Inutile de dire que c’était un radical. C’était en outre un écrivain auquel on accorde quelque valeur littéraire ; mais il écrivit aussi anonymement. Sa position sociale était celle d’un gentleman anglais, vivant d’un revenu tiré d’un capital quelconque. Il était assez riche et eut à subir des revers financiers : c’est du moins ce qu’on peut conclure de ce fait qu’il fut éduqué à l’université de Cambridge dans la catégorie la plus coûteuse, tandis que son fils, Thomas Robert Malthus, y fut envoyé moyennant une combinaison plus économique. Nous découvrons encore qu’à cette époque, la famille, quoique augmentée, s’était transportée dans une maison plus petite que celle où son chef était né. Là, durant l’hiver de 1797, le père et le fils eurent ensemble quelques discussions au sujet des mérites de Political Justice, un livre récemment publié par William Godwin, mari de Mary Wollstonecraft et beau-père de Percy Bysshe Shelley.
Godwin était un anarchiste de ce type non scientifique qui précéda Marx et Proudhon. Comme son contemporain français Condorcet, il entretenait vaguement les idées auxquelles Saint-Simon donna corps quelque vingt-quatre ans plus tard et qui peuvent se résumer comme suit. Le prodigieux développement des arts industriels producteurs de richesse qui marqua le dernier quart du dix-huitième siècle, était en train de transformer l’organisation sociale du type militaire en organisation sociale du type industriel. Les métiers de soldat, de législateur, de juge, de geôlier, de souverain et de bourreau devaient être bientôt supprimés comme inutiles par une génération que le commerce amenait à concevoir la solidarité humaine. Le commerce lui-même, par la diminution qu’il apportait au coût de l’existence, aplanirait nécessairement la voie au communisme. L’âge d’or, l’état paradisiaque, était non seulement devant nous, au lieu d’être derrière : il était en vue, tout proche. Le robuste optimisme qui pouvait penser ainsi alors que la plus grande des révolutions populaires était, après une terrible saignée, en train de se transformer en un triomphal despotisme militaire fait honneur au cœur et à l’imagination de Godwin.
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