Le droit de vivre
Etre humain, la vie m’a été donnée sans que je l’ai souhaité ; il n’est pas en mon pouvoir de faire en sorte de n’être jamais né. Ce don obligatoire, la loi veut bien m’en garantir l’usufruit, mais ce qu’en revanche je peux réellement choisir de faire ou de ne pas faire – mettre un terme à mes jours –, en hâtant une fin inéluctable, cela on ne me le permet pas. Ou plutôt : on refuse symboliquement de m’en reconnaître le droit.
L’absurdité d’un « droit à la vie » contraignant celui qui l’exerce, sans qu’il ait choisi d’en jouir et sans qu’il puisse y renoncer, est si évidente qu’elle fait se contredire les magistrats qui s’évertuent à le formuler : « La Cour admet que Mme Pretty est victime d’une discrimination, dans la mesure où elle n’a pas le droit de se suicider, ce qui serait permis si elle était valide. »
Ainsi donc, le droit aurait pu être permis... Soucieuse de paraître rendre un arrêt mesuré et humain, la Cour s’oublie. Valide, Diane Pretty pourrait se suicider, cela lui serait en effet matériellement permis, au sens de possible ; elle n’en aurait pas pour autant le « droit » légal, ce que la Cour est précisément payée pour lui signifier.
Pleine incarnation de son droit de vivre, assez vive pour parler sans prothèse et se mouvoir par le jeu de ses jambes, Diane Pretty serait assez vivante pour se suicider. Elle pourrait en prendre le droit, comme le font chaque année une centaine de milliers d’européens qui se soucient peu de l’opinion de la Cour. Or, malade et handicapée, déjà plus tout à fait vivante en somme, elle se trouve réduite à mendier non son propre droit – dont elle ne doute pas – mais l’impunité du compagnon qu’elle laissera derrière elle.
Si le droit de vivre est bien, comme la Cour européenne semble le reconnaître, la source de tous les autres droits, alors nous devons conclure avec le philosophe Hans Jonas que « correctement et pleinement compris, il inclut aussi le droit de mourir[121]. » Ajoutons que celui-ci ne saurait être discuté en fonction du laps de temps, raisonnablement évalué, qui sépare une personne de la fin de sa vie. Le droit de mettre soi-même un terme à son existence n’est pas un nouveau « droit du malade », c’est une liberté constitutive de l’être humain, que les sociétés instituées peuvent choisir de reconnaître ou de combattre.
Claude Guillon
LE DROIT A LA MORT
2010 - PP. 78-79
121. Le Droit de mourir, trad. Philippe Ivernel, Rivages poche, 1996, p. 74.