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L'article ci-dessous est en débat.
Raison de la mise en débat :
discours TERF dans le dernier paragraphe
Contre la GPA et son monde !
envoyé le 10/11/22 par Vanina Mots-clés  luttes féministes  

Pour accepter la GPA (gestation pour autrui), il faut se focaliser sur un prétendu « droit à l’enfant » en s’asseyant sur les inégalités sociales ; pour faire accepter ce nouveau marché de la reproduction humaine, il faut lui inventer une version « éthique ». La sortie récente de Ventres à louer – Une critique féministe de la GPA [1], ouvrage aux multiples contributions émanant de divers pays et traitant le sujet par diverses approches, est une bonne occasion de faire le point dessus.

L’image donnée de la GPA est assez trompeuse pour inciter quiconque ignore ce que cache précisément cette « technique » à la considérer avec bienveillance : ne vient-elle pas en aide à des personnes qui souffrent de ne pouvoir exaucer leur désir d’enfant ? En réalité, la « maternité de substitution [2] » repose sur la marchandisation du corps de femmes et d’enfants : elle fait des unes un simple réceptacle, des autres un article de plus à vendre pour un système capitaliste qui a mondialisé la production et les échanges économiques en général. On mettra donc ici l’accent sur les classes sociales et sur les pays particulièrement concernés par la GPA, ainsi que sur la propagande libérale et sur la théorie postmoderne qui la promeuvent.


Les dessous bien sales de la GPA

La « gestation pour autrui » s’intègre dans un processus plus large, l’économie de la reproduction qui s’est développée à partir des années 1980 – et surtout après janvier 1995, quand les brevets sur le vivant et leur commercialisation ont été autorisés par l’accord de l’Organisation mondiale du commerce sur la propriété intellectuelle (ADPIC). Jusque-là, les brevets ne s’appliquaient qu’au monde inanimé. L’essor des biotechnologies a changé la donne : le vivant a été décomposé en pièces détachées (organes, cellules, gènes…) et est devenu une « ressource », ainsi que le stipule le texte de la Convention pour la diversité biologique adopté en 1992 au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro.

Le Larousse médical définit la GPA comme « la grossesse qu’une femme, appelée mère porteuse, mène pour une autre qui ne peut ni concevoir ni porter un enfant » ; cette femme ayant décidé « pour des motifs divers (moraux, affectifs, financiers) [de] porter un enfant qu’elle n’a pas conçu naturellement afin de le donner après la naissance », elle peut soit « recevoir un embryon qui a été fécondé artificiellement (ovule et spermatozoïde du couple demandeur) », soit « se prêter à une insémination artificielle par les spermatozoïdes du père contractuel et donner son propre ovule ».

Cette description assez technique est fort incomplète. Elle tait notamment le fait que la GPA permet non seulement d’exploiter la capacité sexuelle et reproductive des femmes, mais aussi de la commercialiser ; et elle ne rend pas compte du marché de plus en plus juteux représenté, au niveau de la planète, par la « maternité de substitution » pour les multiples « prestataires de services » – agences de fertilité, cabinets d’avocats, professionnel-le-s de santé, ou encore représentant-e-s de sociétés pharmaceutiques et banques de gamètes – qui la « gèrent » [3]. L’État de Louisiane annonce bien mieux la couleur (de l’argent et du patriarcat) quand il la définit comme « un accord par lequel une personne (sic !) non mariée au donneur de sperme accepte, moyennant une contrepartie, d’être inséminée, de porter le fœtus qui en résulte jusqu’à la naissance, puis de transférer au donneur de sperme la garde du nouveau-né avec tous les droits et obligations afférents ». Et la Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution (CIAMS), créée en 2018 à l’initiative de quatre organisations féministes [4], précise avec raison que la GPA est avant tout une « pratique sociale », puisqu’elle se rapporte à une femme en bonne santé et sans désir d’enfant (non une malade ayant besoin de recourir à la médecine) et que les conditions de sa grossesse sont précisées par un contrat juridique établi entre elle et les commanditaires d’un enfant.

  • La « partie » se joue en fait à plusieurs : en dehors des intermédiaires sus-cités, il y a les client-e-s, désireux de se procurer un bébé et ayant les capacités financières nécessaires pour en passer commande [5] ; des femmes en général aux faibles ressources, et fréquemment de couleur, qui « louent » leur ventre le temps d’une grossesse ; et aussi, souvent, d’autres femmes aux revenus également modestes, mais « blanches », qui sont chargées de fournir les « bons » ovocytes quand les clients ne veulent pas de n’importe quel bébé.

Les cas de figure varient beaucoup : les clients peuvent être un couple (hétéro ou homo) ou une personne seule ; le bébé peut avoir ou non un lien génétique avec, etc. Cependant, on note une constante lourde : entre les clients et les femmes mises à « contribution » pour une GPA, les droits sont toujours du côté des premiers (la filiation maternelle étant niée au profit du pourvoyeur de sperme [6]) et les devoirs du côté des secondes. Ce sont ainsi les clients qui fixent les conditions d’existence et le régime alimentaire des « mères porteuses », les soumettant à d’innombrables contrôles (de leurs déplacements comme du choix de leur médecin ou du nombre d’actes obstétricaux à réaliser sur elles) et restrictions (abstinence sexuelle et monogamie, pas de consommation d’alcool, de caféine ou de fast-food…). Cette pression s’exerce également pendant l’accouchement, souvent effectué par césarienne sans aucune justification médicale. Les « mères porteuses » doivent s’engager à établir et maintenir une distance avec l’enfant à naître pour éviter tout attachement réciproque. Les clients exigent généralement qu’elles avortent si un handicap est repéré chez cet enfant pendant la grossesse ; ils décident du nombre d’embryons qui seront implantés en elles, du nombre de fœtus qu’elles garderont en cas de grossesse multiple, ou encore du sexe de l’embryon…

La GPA est source de violences diverses pour les « mères porteuses ». Les puissants traitements hormonaux qu’elles reçoivent peuvent avoir et ont souvent des conséquences néfastes sur leur santé (les risques d’hypertension, d’hémorragie et d’accouchement déclenché étant accrus par rapport à une grossesse ordinaire). Elles sont susceptibles d’attraper le sida (le « lavage de sperme » n’est guère effectué). Elles font fréquemment des fausses couches, du fait que la fécondation artificielle utilise des cellules germinales étrangères à leur organisme. Alors que la relation prénatale entre une femme et un enfant à naître (faites de sensations, d’émotions partagées…) est d’habitude reconnue comme importante, alors qu’est couramment admis l’impact de l’alimentation maternelle sur les préférences de cet enfant en matière d’odeur et de goût, les « mères porteuses » ont pour stricte consigne de n’entretenir aucun lien avec celui qui leur est commandé. Cette situation entraîne du stress et davantage de dépressions chez elles que chez les autres femmes enceintes.

En Inde, où la « maternité de substitution » a été légalisée en 2002, les « cliniques de la fertilité » ont visiblement été conçues sur le modèle de l’élevage en batterie. Les « mères porteuses » sont recluses dans des pièces bondées comme des cellules de prison, et sans pouvoir rencontrer les membres de leur famille ; elles subissent des interventions (injections, opérations chirurgicales, transferts d’embryons ou avortements) sans avoir été consultées au préalable et sans forcément les comprendre par manque d’instruction ; elles ne sont payées qu’une fois mis au monde l’enfant commandé… s’il est en bonne santé et sans handicap [7]. Pour garantir leur grossesse, on leur implante des embryons à répétition (jusqu’à 30 tentatives) et plusieurs en même temps (jusqu’à 5) ; et, pour augmenter les chances de succès, les cliniques pratiquent (contre une somme supplémentaire) des transferts d’embryons sur deux « mères porteuses » simultanément…

Ailleurs dans le monde, les donneuses d’ovocytes ne sont pas logées à meilleure enseigne que la plupart des « mères porteuses », quoiqu’elles favorisent une sélection génétique prisée par nombre de clients (aucune donnée n’est rendue publique sur ce sujet, bien sûr). Si les « Blanches » aux faibles ressources de l’ex-bloc de l’Est ou de régions voisines sont recherchées pour la couleur de leur peau ou de leurs yeux, et de même (en particulier aux Etats-Unis, semble-t-il) les étudiantes possédant un QI au-dessus de la moyenne, la conformité aux canons de la Beauté, la condition physique ou l’intelligence de ces femmes ne leur garantissent pas tellement d’avantages. De plus, les procédures de la FIV (fécondation in vitro) qu’elles subissent sont tout à la fois douloureuses et dangereuses pour leur santé.

L’exploitation sans fard de pauvres par des riches

L’industrie de la procréation étant fondée sur une division internationale de sa « production », elle doit s’adapter à des législations nationales aussi variées que fluctuantes et floues [8]. Le déroulé de ses opérations diffère donc selon que les États autorisent, tolèrent ou interdisent sur leur territoire la GPA. Celle-ci est aujourd’hui légale dans 16 pays, principalement « développés », et elle est « encadrée » dans 13 d’entre eux (comme l’Australie, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, le Canada ou le Nigeria [9]). Certains États (tels le Bangladesh, le Cameroun, la Colombie, le Liban, la Pologne ou le Pérou) l’admettent sans qu’elle ait fait l’objet d’une loi. Elle est prohibée dans 21 pays de l’Union européenne (dont la France depuis les lois de bioéthique de 1994) et quatre européens hors UE (la Croatie, l’Islande, la Norvège et la Suisse), de même que dans de nombreux États des autres continents (l’Algérie, l’Indonésie, la Jordanie, la Tunisie, la Turquie, la Chine, etc.).

Il y a quelques années, les principales destinations pour le tourisme procréatif étaient l’Inde et la Thaïlande.
En Inde, la demande nationale de GPA était très faible – les préjugés de caste et une aversion marquée pour les « brassages sanguins » jouant en sa défaveur. Aussi, en 2016, les étrangers représentaient 95 % de la clientèle, pour un chiffre d’affaires estimé à 2,6 milliards de dollars. Néanmoins, devant la mauvaise image que la GPA donnait des Indiennes, le gouvernement a alors interdit le recours à cette pratique pour les couples étrangers (des cliniques l’ont poursuivie illégalement).

Le Népal, le Mexique et la Thaïlande ont agi de même, tandis que la Russie et l’Ukraine limitaient aux seuls couples hétérosexuels l’accès à « leurs » « mères porteuses ».

La Thaïlande attirait, par sa législation laxiste couplée aux bas prix de ses « fermes à bébés », une clientèle japonaise et australienne. Mais les scandales se sont succédé dans ce pays : en 2017, il y a eu l’affaire du bébé Gammy, commandé par un couple australien qui n’en a plus voulu en le découvrant trisomique ; en 2018, l’affaire d’un père japonais qui avait engagé au moins 16 « mères porteuses » pour autant de GPA… En 2018, le gouvernement thaïlandais a réservé aux couples thaïlandais, ou de « race non mixte », les services d’une « mère porteuse » thaïe (âgée de 25 ans révolus).

  • Les restrictions de ces États par rapport à la GPA ont quelque peu modifié ses circuits : la demande émane toujours majoritairement d’Amérique du Nord, d’Europe de l’Ouest et de Chine, mais les agences trouvent à la satisfaire pour l’essentiel en Europe de l’Est, en Inde et en Asie – en proposant sur catalogues des « mères porteuses » et des donneuses d’ovocytes promises « à un moindre coût ». La Californie et le Canada sont des destinations de premier choix pour la clientèle la plus aisée, l’Ukraine, la Russie et la Grèce raflant une bonne partie du reste.

La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont cependant quelques des problèmes de logistique. La fermeture des frontières liée à la situation sanitaire a empêché un temps les clients d’aller récupérer des bébés achetés à l’étranger. Aussi l’intervention militaire russe a-t-elle incité, en mai dernier, des Français-es qui craignaient de rencontrer la même difficulté à faire venir dans l’Hexagone « leurs » « mères porteuses » ukrainiennes pour qu’elles y accouchent sous X. Cette initiative a créé une brève polémique dans les médias…

La guerre ne facilite pas l’industrie de la GPA en Ukraine, mais environ 3 000 enfants par an y seraient néanmoins conçu-e-s pour des clients chinois, états-uniens ou de l’Union européenne. C’est le premier pays d’Europe à « disposer de vastes gisements de gènes utilisables pour la GPA », affirme la presse spécialisée en génétique reproductrice ; on peut y choisir le sexe du bébé, qui sera à coup sûr parfait ou presque parce que porté par des femmes blanches et vaccinées. Biotexcom [10], la principale agence ukrainienne de GPA, a mené après l’intervention militaire russe une intense campagne publicitaire pour rassurer sa clientèle étrangère : « La clinique travaille sans relâche, et, en outre, ouvre même de nouveaux bureaux. Tous les programmes et procédures sont exécutés sans interruption… » Le 26 février dernier, elle publiait sur Facebook la photo d’un bébé accompagnée de la phrase « Makes babies, not war », en référence au célèbre slogan contre la guerre du Vietnam.


GPA et capitalisme, un ménage exemplaire !

Il est logique que la conjoncture internationale ait des répercussions sur le marché de la GPA : d’une part, celui-ci est déterminé par la demande, comme tout marché, et cette demande est sensible aux perturbations de tous ordres ; d’autre part, l’industrie de la procréation fonctionne sur le même principe que les autres industries dans la mondialisation capitaliste – productions externalisées, fabrication des pièces détachées délocalisée, assemblage réalisé ailleurs. Les consommateurs/rices n’ont ainsi souvent aucune vue d’ensemble concernant la provenance d’un produit (quel qu’il soit), les conditions de travail dans lesquelles il est conçu ou ses fournisseurs – ce qui les dégage de toute responsabilité.

Pour la location d’utérus, les femmes les plus pauvres avec enfants sont les plus recherchées, car elles ont démontré leur capacité à mener des grossesses à terme et leur vulnérabilité économique fait d’elles des proies idéales. Délocaliser et tirer parti des inégalités sociales représente par ailleurs une stratégie capitaliste basique pour réduire les coûts : la production est transférée là où il y a le moins de capitaux à investir. Des « mères porteuses » sont ainsi déplacées d’un continent à l’autre – des Africaines arrivant par exemple en Inde pour être fécondées avec le sperme d’un homme blanc, puis retournant en Afrique pour accoucher et remettre le bébé à ce donneur de sperme où qu’il réside. Enfin, ce genre de circuits évite les litiges coûteux dans l’hypothèse (assez improbable) où la « mère porteuse » se rebifferait.

  • La cuisine peu ragoûtante des réseaux les plus mafieux qui s’étale de temps à autres sur la place publique en matière de GPA a néanmoins obligé les partisan-e-s de cette pratique à redorer son blason, non seulement en vantant une « GPA altruiste » ou « solidaire », ou encore « éthique », comme alternative à la « GPA commerciale », mais aussi en désignant ses acteurs et actrices par des appellations plus douces – elles tirent même (faussement) vers le neutre.

Dans une « GPA altruiste » ou « solidaire », nous assure-t-on, les « mères porteuses » sont des femmes « généreuses » qui, malgré leur situation sociale et financière, « choisissent » de mettre au monde, de soigner et protéger la croissance de leur « hôte » ; et les donneuses d’ovocytes ont de leur côté une attitude « philanthropique » remarquable. Une intense campagne de communication menée par les agences va dans le même sens – nombre de reportages mettent en scène des « mères porteuses » ravies d’être utiles à d’autres femmes… Mais pourquoi donc des pauvres (ou en tout cas des peu fortunées) devraient-elles montrer une solidarité envers des riches [11] ? A-t-on jamais vu des femmes riches être « mères porteuses » pour des femmes pauvres et stériles ?

Une « GPA éthique » est aussi défendue, particulièrement dans les médias occidentaux, par des docteur-e-s ou des personnalités politiques – et elle existe officiellement au Royaume-Uni ou au Canada [12]. Elle vise à ce que les « mères porteuses » soient reconnues (peut-être même faudrait-il les aimer et les laisser nouer des relations avec l’enfant par la suite ? s’interroge-t-on), ainsi qu’à remplacer la notion de transaction financière par celle de « compensation » (les « mères porteuses » ne devant pas être animées par l’« appât du gain » mais par la logique du « don »). Et d’autres mesures sont envisagées – par exemple, selon le Pr Nisand en France, il serait bien que les « mères porteuses » aient au moins 35 ans, un « bon niveau de vie », un suivi psychologique, qu’elles n’accomplissent qu’une fois une GPA et qu’elles soient indemnisées pour leur grossesse « à hauteur de 15 000 euros » par la Sécurité sociale.

On suit en fait là plus ou moins le modèle de GPA états-unien, dans lequel la mère est « motivée » : elle déclare aimer être enceinte (peu importe l’enfant), devenir « porteuse » uniquement par choix de « donner la vie » même si elle est rémunérée pour le temps et l’énergie que représente la grossesse [13], et être convaincue que l’enfant n’est pas le sien.

Dans le scénario « éthique », les « mères porteuses » sont appelées « anges », « fées » ou « nounous prénatales », et leur action est qualifiée de féministe, sororale ou progressiste ; les clients sont quant à eux nommés « parents d’intention », plutôt que « parents commanditaires » ou « clients-parents » de la « classique » GPA. Un discours essentialiste l’accompagne souvent : les « mères porteuses » sont encensées pour avoir mis au monde et allaité un bébé auquel elles se dévouent… parce que prendre soin des enfants avec abnégation est le destin universel des femmes. Pareil discours dessert la lutte antipatriarcale car, en réservant aux femmes le care et l’éducation des enfants, il défend les rôles sociaux inculqués aux deux sexes quand il faudrait les supprimer.

La nature même de la GPA, avec ou sans qualificatif, la rend incompatible avec la notion d’éthique, puisque cette pratique consiste toujours à faire subir à une femme une grossesse surmédicalisée avec de gros risques pour sa santé et sa vie, et à considérer un enfant comme un produit, qu’il soit à vendre ou à donner.

Dès l’instant où la naissance, événement imprévisible s’il en est, bascule dans le registre de la fabrication, prévisible et programmable, avec un corps féminin réduit à un outil de gestation, la procréation humaine se transforme en un service économique – une dérive que les menaces pesant sur la fertilité humaine peuvent, qui plus est, accélérer, tout comme les performances croissantes sans cesse exigées des êtres humains. Dans le monde capitaliste, la démarche « GPA éthique » est du foutage de gueule puisqu’elle ne porte que sur les termes du contrat (les conditions du marché), non sur l’existence ou pas d’un contrat.

La GPA a ouvert la voie à la commercialisation d’un être humain conçu sur mesure. Il est possible que l’utérus des « mères porteuses » soit un jour remplacé par un utérus artificiel qui répondra bien mieux aux intérêts capitalistes. Non seulement il permettra une meilleure planification des naissances, mais il fera disparaître le « problème » de la relation entre la « mère porteuse » et l’enfant à naître, ou encore la mauvaise image de clients passant commande à une femme réduite à son ventre, au nom d’un désir d’enfant largement exploité par le système marchand – voir le salon annuel qui se tient chaque année à Paris sur ce thème depuis 2020. Nul ne devrait pourtant avoir « droit » à un enfant de façon consumériste et égoïste : les enfants ne sont pas là pour enrichir la vie d’adultes et pourvoir à leur bonheur, c’est aux adultes de veiller au bonheur des enfants. Et ce sont bien davantage les conditions de l’adoption que celles de la GPA qui devraient être améliorées.


Contre les femmes, des discours misogynes divers

Tandis que les pro-« GPA éthique » essaient de mieux traiter les « mères porteuses », d’autres courants pro-GPA soit les déprécient, notamment par le biais de blagues où elles sont traitées de « fours » sinon de voitures dans lesquelles on met de l’essence ; soit les invisibilisent en les désignant comme « personnes gestantes », « porteuses gestationnelles » ou « donneuses de naissance ».

  • Le premier courant vient renforcer l’idée, toujours très présente dans l’imaginaire collectif des sociétés, que dans la reproduction l’homme est actif et la femme passive. « Papa a mis la petite graine dans le ventre de maman », raconte-t-on aux enfants pour expliquer la procréation. Les dictionnaires sont parlants : Le Robert définit le mâle comme l’« individu appartenant au sexe doué du pouvoir de fécondation », la femelle comme l’« animal du sexe qui reproduit l’espèce en étant fécondé par le mâle »…

Le second courant doit beaucoup à la « théorie queer », dont les adeptes ont une grosse tendance à remplacer partout le mot « femme » par « personne » – en parlant entre autres de « personnes menstruées [14] ». L’universitaire en études queer Pablo Perez Navarro, par exemple, s’extasie sur « les possibilités ouvertes par la dissociation entre la gestation et la maternité », car elles « placent cette technique de reproduction dans une position unique pour dénoncer et déconstruire les normes sexuelles et de genre ». Il estime libérateur de dissocier gestation et maternité… en occultant juste un « détail » : ce sont encore les femmes qui enfantent. Les « queers » trouvent également libérateur que des hommes puissent se déclarer femmes grâce au remplacement du sexe biologique par l’« identité de genre » [15] – une formule magique déjà inscrite dans les législations de pays pro-GPA (tels le Royaume-Uni ou le Canada). Le fait que la violence et l’oppression subies par les femmes soient fondées précisément sur ce sexe biologique, et que l’escamoter de la sorte desserve donc la lutte contre la domination masculine, ne les soucie pas : pour qu’un « ressenti » suffise à définir une femme, il convient d’effacer son corps.

En résumé, d’un point de vue féministe et anticapitaliste, la GPA est à rejeter pour de multiples raisons – en particulier parce qu’elle instrumentalise le corps féminin (partant, les femmes en tant que telles) et transforme à des fins lucratives les enfants en produits [16], et parce qu’elle accentue l’artificialisation des naissances.

Notes

[1] L’Echappée, 2022, 320 p., 23 euros.
Lire aussi, sur internet, « De quoi la “GPA éthique” est le nom », d’Ana-Luana Stoicea-Deram ; « Ce que la “gestation pour autrui” réglemente », de Borasan Sesli ; ou « Pourquoi la GPA ne peut pas être éthique », de Geneviève Azam.

[2] Nom couramment donné à la GPA même si on ne sait à quoi renvoie précisément ladite « substitution ».

[3] En 2019, ce commerce était estimé à 6 milliards de dollars – un chiffre très sous-évalué puisque les résultats de son important marché noir ne sont pas connus.

[4] Le CoRP, CQFD Lesbiennes féministes, la Cadac et l’Assemblée des femmes. Une trentaine d’autres organisations féministes de plusieurs pays y ont depuis adhéré.

[5] Le Monde du 29 décembre 2017 évaluait les tarifs d’une GPA entre 30 000 et 60 000 euros en Ukraine, et entre 100 000 et plus de 170 000 euros aux États-Unis.

[6] La Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant garantit le droit pour toute personne à connaître ses origines, mais les cliniques ne conservent ni ne partagent aucune information sur « leurs » « mères porteuses ».

[7] D’après un rapport du Centre for Social Research (CSR) de New Delhi, elles percevraient au mieux 1 à 1,5 % des honoraires en moyenne.

[8] Les lois étant en retard sur les pratiques, les vides juridiques sont d’ailleurs exploités par les pro comme par les anti-GPA.

[9] Aux États-Unis, elle l’est dans 45 États sur 50, mais il n’y a pas de loi fédérale sur la question.

[10] Cette société notoirement mêlée à des affaires d’évasion fiscale et de trafic d’êtres humains proposait l’an dernier, à l’occasion du « Black Friday », une « offre unique » : 3 % de remise sur tous ses « packages » GPA.

[11] Quand il a légalisé la « GPA commerciale » en 2021, le gouverneur Cuomo de l’État de New York l’a présentée comme une victoire pour les droits des LGBT alors qu’elle a une utilité seulement pour des hommes « gays » ou « transfemmes ».

[12] La loi fédérale canadienne de 2004 sur la procréation humaine assistée autorise implicitement la GPA à titre gratuit (en interdisant celle à titre onéreux), mais le Québec s’y oppose dans l’article 541 de son code civil provincial.

[13] Aux États-Unis, pour être « mère porteuse », il faut prouver qu’on ne bénéficie pas des minimas sociaux et qu’on est solvable financièrement.

[14] Pour avoir ironisé sur le sujet dans un tweet en 2020, J. K. Rowling (auteure de la saga Harry Potter) est taxée depuis de « transphobie » sur les réseaux sociaux et dans les médias.

[15] « Combattre l’oppression symbolique », un sketch des Monty Python dans le film La Vie de Brian sorti en… 1979, est remarquablement prémonitoire.

[16] La Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant proclame pourtant le principe d’« indisponibilité de la personne ».


envoyé le 10 novembre 2022  par Vanina  Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article
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Débat concernant la modération de cette contribution
16 novembre 2022 20h09, par

16/11/22 : la position exprimée dans le dernier paragraphe est discutable et peut bien sûr susciter des désaccords. Néanmoins, il s'agit de la présentation (discutable) d'un courant idéologique et non d'une proposition d'exclure les personnes trans de la lutte. On peut bien sûr penser que l'émancipation adviendra autrement mais pour moi, le seul point vraiment embêtant est "ce sont encore les femmes qui enfantent" : c'est faux et c'est une invisibilisation des hommes trans mais je ne suis pas sûr que cela mérite de mettre l'article à la poubelle.

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